vendredi 27 janvier 2012

Télécharger, copier, échanger

Dis-moi ce que tu voles, à qui tu le voles et par quel moyen ; je te dirai quel voleur tu es.


— C'est facile : tu télécharges...

Ben oui, c'est facile. J'ai déjà avoué à plusieurs reprises que j'étais démodé. Je le suis encore et je le resterai probablement jusqu'à la fin de mes jours.

— Oh ! Tu l'as déjà ? Tu m'en fais une copie ?

Ben oui, c'est facile. On met le support vierge et on recopie.

— Envoie-le sur mon mail !

Ben oui, c'est facile. On joint le fichier et on envoie le message.

On clique partout et on télécharge. Parfois, on se ramasse une merde, un « cheval de Troie ».

C'est les salauds de majors qui nous pourrissent la vie avec ça, cette bande d'escrocs qui se remplissent les poches, alors qu'on ne fait rien que partager l'info, échanger.

C'est ça, le monde moderne : la convivialité, l'échange, le partage. On finit par ne plus savoir d'où ni de qui vient un fichier, comment on l'a reçu et où il s'en est allé ensuite.

Le monde évolue.

Aujourd'hui, les plus jeunes téléchargent des chansons, des images, des jeux, des logiciels...
Ils ne se posent pas de questions. C'est gratuit, tout simplement.
Et puis, même s'ils savent parfois que, non, ce n'est pas gratuit ; ils ne s'en soucieront pas, parce que ces choses qu'ils obtiennent sans les payer, ce n'est pas pour se les approprier.

Ben non, m'sieur. On fait rien de mal. Tout le monde fait ça, vous savez. Mes copains, mes copines, mon grand frère, mon cousin et même mon prof. Tout le monde, je vous dis. Même mon père m'a demandé où et comment je trouvais tout ça, parce que ça l'intéresse, lui aussi.

Non, les plus jeunes ne se posent pas de questions. En téléchargeant, en copiant, en transmettant, en échangeant... ils ne volent rien. Ils ne s'approprient rien. Leur console de jeux, leur smartphone, leur tablette... ça, oui, c'est à eux. Ils ne les ont pas payés, mais c'est à eux. Ils les ont reçus en cadeau.

Mais la chanson qu'ils ont téléchargée gratuitement hier et transmise à quelques potes, celle qu'ils écoutent aujourd'hui, celle qu'ils effaceront demain et qu'ils remplaceront par une autre, ils n'ont pas le sentiment de l'avoir volée. C'est juste un service. Un truc fugitif. Un peu comme quand d'autres, il y a longtemps déjà, poussaient sur la touche « record » de l'enregistreur à cassettes quand leurs morceaux préférés passaient à la radio (coupés au début par le bla-bla du présentateur et raccourcis à la fin par le jingle annonçant la page de pub – c'était fait exprès).

Nous sommes dans un monde du « je prends – j'utilise – je jette ». On ne répare pas, ça coûte trop cher. On ne conserve pas quand on s'en est lassé, ça prend de la place inutilement.

Adolescents, ils consommeront sans arrière-pensée. D'un côté ils rêveront du grand amour, comme leurs aînés l'ont fait avant eux, mais ils ne le trouveront pas, ou si rarement, et s'ils le trouvent ils ne le garderont pas. Les gens, ils sont comme les objets de consommation : ils passent.

Une idée, ça n'existe que pour être consommé. Ce n'est pas comme un smartphone ou un scooter : ce n'est pas matériel, ça n'appartient à personne, donc ça ne se vole pas. La propriété intellectuelle n'existe pas.

Ça, c'est pour les innocents.

Mais il y a les pervers. Les sans-gêne. Ceux qui savent, mais qui s'en tapent.


Toi, le musicien, le passionné, l'artiste désintéressé... Mets ta jolie chanson gracieusement en ligne, et lis les messages de ceux qui l'ont aimée et t'encouragent à en composer d'autres.

Toi, l'auteur, le passionné, le scribouillard désintéressé... Mets ta jolie histoire gracieusement en ligne, et lis les messages de ceux qui l'ont aimée et t'encouragent à en écrire d'autres.

La vie est belle. C'est sympa, ces gens qui aiment ce que tu fais.

Et puis, un jour, tes chansons, tes histoires, tu les retrouves ailleurs. On les a recopiées sans te demander ton accord. Et tu peux être heureux si, par chance, ton nom y est resté associé. Ce n'est pas toujours le cas. Pas souvent, même. Et jamais si tu n'es pas déjà célèbre.

Un jour, même, tu trouveras un type qui donne (et même revend) tes chansons ou tes histoires à d'autres, un peu comme si c'était à lui. Ceux qui les recevront le féliciteront peut-être pour son talent. Ils croiront que c'est à lui, qu'il en a le droit.

Tes œuvres t'échappent, elles ne t'appartiennent plus.

Et un jour, peut-être, au nom de la liberté d'expression, de la convivialité, de la fraternité des internautes et de la malléabilité de la bouse de vache quand elle est chaude, des milliers de petits voleurs qui s'ignorent prendront la défense des grands voleurs qui t'ont escroqué et qui viennent de se faire coffrer.

Mieux : ils te menaceront. Ils essaieront de te pourrir ta vie.

Aujourd'hui, le chœur des internautes prend la défense des voleurs. Pas celle des artistes.

2 commentaires:

  1. je ne sais pas pourquoi, mais cette phrase de Victor Hugo me revient: "Ah, Liberté, que de crimes on commet en ton nom!".
    et c'est au nom de la Liberté que l'on pille sans vergogne sur le net. Et on trouve au coeur de la masse des internautes de belles et bonnes âmes pour défendre et encourager ce que, dans leur démagogie, ils appellent la défense des libertés. Et comme nous sommes en période électorale permanente et qu'il faut paraitre "d'jeune'', alors ces messieurs dames se laissent aller à leurs tendances naturelles à la démagogie...
    Et les mêmes de pleurer hypocritement quand une librairie ferme, quand un journal met la clef sous la porte!
    ainsi va le monde!

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  2. Exactement, Paniss. Le monde d'aujourd'hui ne vit qu'à très court terme. Ce qui est immédiatement palpable semble bon et, innocemment, on plonge sans réfléchir à notre avenir.
    Je pense au "do it yourself", comme disent les Anglo-saxons. Au début, tu achetais des matériaux toi-même pour bricoler à chez toi, ce qui te permettait d'économiser sur les frais, puisque ta propre main-d'oeuvre tu ne la paies pas. Bien sûr, l'électricien, le chauffagiste, le peintre... ça leur donne moins de clients.
    Maintenant, on veut tout te faire faire toi-même. Scanner tes marchandises au supermarché, par exemple, et tant pis pour la caissière qui file au chômage ! Dans ce cas-là, tu n'économises rien. C'est la chaîne de magasins qui y gagne.
    Mais le pire, c'est les banques. Tu leur confies ton fric, ils jouent avec, te demandent des frais pour tes opérations (retraits, virements) que tu fais pourtant toi-même, t'offrent 1% d'intérêt sur ton compte-épargne (si t'arrives à épargner) et t'en pompent 14 sur ton découvert... et quand ils ne gèrent plus rien (à force de s'être rempli les poches en opérations douteuses), ils appellent l'État à la rescousse. Et l'État, c'est qui ?
    Pour en revenir à ceux qui affirment ne pas voler les artistes mais seulement les salauds de producteurs... Je propose à ces ardents défenseurs de la liberté, de la convivialité et de l'échange d'aller à la sortie des concerts avec leurs copies-pirates, et de les présenter aux artistes pour qu'ils y apposent leur signature. Ils seront tout heureux de le faire !

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