vendredi 5 octobre 2012

La vie de château

Les viticulteurs français ne sont pas contents. Vous me direz que ce n’est pas nouveau, que généralement ces gens-là sont mécontents pour l’une ou l’autre raison, que ce soit au sujet de la météo, des quotas de production, des maladies de la vigne, du coût de la main-d’œuvre, des taxes ou, le plus souvent, à propos de ces salauds de producteurs étrangers qui saturent le marché avec leur breuvage qui, c’est de notoriété publique en France, « n’est pas du vin ».

Habituellement, j’entends tout ça d’une oreille distraite de Belge blasé des jérémiades de ses voisins du sud qui produisent évidemment du très bon vin, mais qui sait très bien que la bière française, en revanche, ce n’est pas vraiment de la bière mais une bibine à peine meilleure que du pipi de cheval (de très peu, mais ils ont fait des progrès, on l’admet du bout des lèvres).

Mais cette fois-ci, ils ont une nouvelle raison d’être mécontents : la Grande Europe, qui n’est jamais avare de coups foireux, a décidé d’autoriser les producteurs américains de vin à coller des étiquettes portant des noms contenant le mot « château » sur leurs bouteilles de pinard. Pas « castle », non, mais bien « château », en français et avec l’accent circonflexe (ou sans, c’est désormais autorisé) autant que l’accent californien.

Un scandale ! Et je les comprends. Enfin, je veux dire que dans un premier temps je les comprenais, les viticulteurs français, mais qu’ensuite, après réflexion et même si je les comprends toujours, j’aurais plutôt tendance à rigoler. Et pour plusieurs raisons.

La première raison de mon hilarité est mesquine, je le reconnais, mais elle participe du juste retour de manivelle. Il me revient que lorsque nous, les petits Belges, nous sommes battus auprès de nos potes européens pour défendre notre bon chocolat, qui constitue une partie de notre fierté (l’autre, c’est la bière trappiste), nos voisins ne nous ont pas beaucoup soutenus. Le résultat est que l’appellation « chocolat » n’est plus réservée aux seules confiseries préparées exclusivement avec des graisses issues de la fève de cacao (le bon beurre de cacao), mais aussi d’emploi autorisé aux vandales qui osent y mettre d’autres matières grasses végétales en appoint. Et les « matières grasses végétales », c’est une belle expression qui ne veut rien dire de bien précis sinon qu’on se fout complètement des omega3, de votre taux de cholestérol et de la saveur inimitable d’une denrée produite de main de maître avec des ingrédients de qualité.

Donc, à la réflexion, je me suis dit que c’était peut-être dommage pour les viticulteurs français, mais que je ne m’en ferais pas trop pour ça. « Château », ce n’est qu’un mot du dictionnaire français, ça ne préfigure pas une qualité bien précise et, dans de nombreux cas, ça désigne seulement une bâtisse qui ressemble à tout sauf à un château. Ces péteux du Bordelais se sont en effet arrangés depuis bien longtemps pour affubler de ce mot n’importe quelle grosse ferme de leur région, pour autant qu’on y produise du vin.

Ils n’ont qu’à faire comme nous : déposer une nouvelle appellation, un label bien précis inutilisable ailleurs, et le tour sera joué. Ils en ont déjà, des appellations contrôlées exclusives ; alors, de quoi se plaignent-ils ? De toute façon, on n’est pas près de confondre les vins des grands châteaux du Bordelais avec n’importe quelle bouteille du Nouveau Monde. Surtout pour ce qui est du prix auquel ils les vendent – et, il faut bien l’avouer, ces prix sont aussi ceux auxquels des couillons de spéculateurs les achètent.

J’ai d’ailleurs lu récemment qu’une bouteille de vin, en France, ça ne revient pas à plus d’une douzaine d’euros, quels que soient le château, la région, l’appellation. Même si c’est exagéré, que ça coûte un peu plus cher que ça, il n’y a pas de fumée sans feu. Voilà. Alors, finalement, c’est bien fait pour eux. Le mot « château » n’appartient pas aux producteurs de vin. Et s’il devait vraiment désigner exclusivement les vrais châteaux, ceux qui ont une vraie histoire de château, ils rigoleraient encore moins, en Gironde.

Est-ce que les Suisses font un scandale pour l’Emmental finlandais ? Et les Hollandais pour le Gouda belge ? Et pourtant, là, il y aurait de quoi : Gouda, c’est bien un bled aux Pays-Bas, il me semble.

Alors, qu’est-ce qu’ils veulent, les viticulteurs ? Qu’ils s’estiment heureux qu’on ne puisse pas faire du « Champagne » en Australie, du « Cognac » en Nouvelle-Zélande et du « Grand vin de Bordeaux » à Vladivostok ou, pire, à Pékin ! Parce que quand les bridés s’y mettent…

Et, à part ça, il paraît qu’on va bientôt fabriquer de la vraie bière trappiste en France. C’est nous, Belges, qui avons permis cela grâce à un vaste projet mené en collaboration avec l’abbaye de Scourmont, qui brasse la célèbre trappiste de Chimay. Alors, c’est pas beau, ça ?

La France perd l’exclusivité du mot « château » sur ses bouteilles de pinard, mais elle va bientôt avoir le droit de produire de la bière trappiste ! Et là, franchement, je vais vous donner mon avis : elle ne perd pas au change.

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