samedi 30 mars 2013

Ton bouquin en solde chez Fitrac

Ami auteur édité, vraiment édité chez un vrai éditeur avec un bon réseau de distribution ; ami auteur édité, quand tu vois ton bouquin sur l'étalage d'un libraire, cela te fait-il quelque chose ? Et d'en trouver une pile de dix sur un présentoir à la FNAC ou une autre grande enseigne, avec à côté quelques ouvrages d'auteurs connus et reconnus, cela te remplit-il de joie ?

J'essaie d'imaginer l'effet que ça fait, puisque ce genre de chose ne m'est jamais arrivé, et si je trouve sur la Toile quelques commentaires d'écrivains (comme celui-ci) ayant vécu cette situation, je me dis « Ouah ! Ça doit lui faire quelque chose, quand même ! »

Conscient que nombre d'auteurs rament à la recherche d'un éditeur et réalisant que ceux-ci, parfois, décrochent enfin le contrat tant souhaité, je me dis qu'à eux aussi, même et surtout s'il s'agit de leur premier livre, ça doit leur retourner les tripes.

Récemment, je reçois dans ma boîte à lettres l'habituelle pile de dépliants publicitaires que je parcours d'un derrière distrait – selon la formule consacrée – avant de les jeter dans le carton qui filera à la déchetterie ; et là, quand même, mon regard s'arrête sur une annonce pour des livres à cinq euros l'unité. Cinq euros, c'est bon marché, surtout pour des romans de plusieurs centaines de pages en format ex-libris avec jaquette couleur et présentant l'aspect du neuf.


Curieux, je passe par ladite boutique quelques jours plus tard et je vérifie que c'est bien vrai, ces livres neufs à cinq euros. Des livres qui coûtaient trois à quatre fois ce prix-là en librairie quelques mois plus tôt. Sûr. Je les y avais déjà aperçus. Donc, les voilà soldés dans un magasin qui vend des vêtements, des jouets, de la vaisselle et du petit électroménager, des articles de jardinage, des piles, des cartouches d'imprimante...

Et là, je me dis : « Et l'auteur, dans tout ça ? »

Ben oui, l'auteur.
Toi, par exemple, camarade auteur édité par une boîte bien distribuée ; toi qui as vu ton livre sur l'étalage à la FNAC, toi qui l'as vu en vitrine chez le libraire, toi qui...
Toi qui te demandais ce qu'il était devenu ensuite, lorsque son permis de séjour sur les présentoirs était arrivé à échéance ; toi qui avais interrogé à plusieurs reprises ton éditeur (en ne recevant de sa secrétaire que de vagues informations) pour tenter de connaître les chiffres de vente ; toi qui te demandais quel serait le montant de ton prochain chèque de droit d'auteur...

Toi qui te posais ces questions, tu vois soudain ton bouquin en solde à cinq euros chez Fitrac ; et tu te demandes ce qui t'arrive, ce que tu as fait pour mériter ça et ce que l'opération va te rapporter.

Autant te le dire tout de suite : des nèfles, financièrement parlant.

Récapitulons.
Lorsque ton éditeur t'a proposé un contrat, tu as bondi de joie : un contrat à compte d'éditeur, offert par une boîte bien distribuée, c'était le rêve ! Combien de refus polis et impersonnels n'avais-tu pas reçus avant cela, avant que cette maison ne reconnaisse ton talent, le potentiel commercial de ton roman, et ne décide de t'accorder ta chance ?

Aussi, lorsque l'éditeur t'a proposé un contrat à dix pour cent de droits d'auteur sur le prix hors TVA des exemplaires vendus, tu as songé que c'était correct, pour un premier roman. Bien souvent, c'est sept ou huit pour cent, dans ces conditions. Trop heureux de ta chance, tu n'as sans doute pas négocié un à-valoir, craignant sans doute – à juste titre – de te faire rabrouer, toi l'illustre inconnu pétri de talent mais attendant toujours la reconnaissance de ses mérites.

Le tirage initial de cinq mille exemplaires te paraissait correct. Tu te disais, en signant le contrat : « S'il s'en vend seulement la moitié, à dix-sept euros quatre-vingt-quinze la pièce, ça me fera dans les quatre mille euros de droits ».

Quand ton roman est enfin sorti – tu as dû attendre longtemps – et que tu l'as aperçu sur les étalages, tu t'es dit « Ça y est, je suis un écrivain ».
Humblement, tu as tenté d'obtenir les chiffres de ventes et, en se faisant beaucoup tirer l'oreille, ton éditeur t'a enfin annoncé qu'en six mois il s'en était écoulé un peu plus de quatre cents exemplaires, et tu as reçu dans la foulée un premier chèque de sept cents euros et quelques. Pas terrible, mais pour un premier roman, il ne faut pas trop espérer. Et ça commence seulement, songes-tu.

En réalité, ça finit déjà. Au cours des semaines et des mois qui suivent, tu te demandes où est passé ton bouquin, tu t'inquiètes, tu te ronges les sangs au point que ça entrave le travail d'écriture de ton nouveau roman. À la fin de l'année, ton éditeur consent de mauvaise grâce à te fournir d'autres chiffres et un second chèque, moitié moins élevé que le premier : est-ce bien vrai, cela ? Te communique-t-il les bons chiffres ? Comment vérifier ?

Le boss en profite pour t'annoncer que, conformément au contrat que tu as signé, les invendus sont destinés au pilon. Au pilon, oui. Revendus au poids à fin de recyclage en papier journal. À moins, bien sûr, que tu ne souhaites, toi auteur, racheter le stock. Trois mille deux cent vingt-cinq exemplaires, que l'éditeur te propose d'acquérir à demi-prix ; comme ça, si tu les revends, ton bénéfice sera important.
Si tu les revends.

En attendant, où vas-tu trouver les fonds nécessaires à ce rachat ? C'est vingt-cinq à trente fois le montant de droit d'auteur que tu as touché !

Tu déglutis et tu déclines l'offre. Tu proposes bien d'en acquérir quelques dizaines, mais l'éditeur t'annonce que dans ces conditions, il ne peut pas te les revendre à un prix aussi avantageux que si tu prends tout le stock.

Tant pis ! Tu te dis que tu te satisferas des quelque six cents bouquins vendus et, peut-être, de ceux encore en circulation qui trouveront finalement un acquéreur.

Et puis, l'année suivante, alors que tu viens de terminer ton second roman et de l'envoyer en lecture à ton éditeur, tu vois plusieurs dizaines d'exemplaires du premier entassés dans un bac chez Fitrac, ce magasin qui les solde à cinq euros, et tu songes que tu t'es fait avoir.


Ben oui, parce que là, avec dix pour cent du prix de vente hors TVA, ça ne te fera même pas cinquante centimes à l'unité écoulée !

D'ailleurs, courroucé, tu demandes des explications que ton éditeur te fournit aussi froidement que poliment, en te recommandant de bien lire les termes du contrat que tu as signé. Si tu ne touches rien sur les exemplaires mis au pilon, tu n'en touches pas davantage sur ceux qui sont rachetés à vil prix par les soldeurs.

Et, déjà, tu regrettes le second roman que tu as envoyé à ce rapace qui ne l'éditera qu'aux mêmes conditions que le premier.

♪♫ ♫  Édition, ton univers impitoyable... ♫♫♪♫

4 commentaires:

  1. encore un coup des NA !

    attention cela est prévu dans la plupart des contrats d'édition.
    je retrouverai les termes exacts si tu le souhaites.
    mais les romans édités chez de "vrais éditeurs" terminent très rarement dans ce genre de braderie, mais plutôt au pilon pour les stocks non vendus.

    les braderies sont spécifiques aux éditeurs qui font de la littérature "de supermarché".

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    1. Oui, sans en connaître la formulation précise, je sais que c'est un point prévu dans de nombreux contrats. Merci d'avoir confirmé mes dires, Stoni. Et si tu as un exemple avec les termes exacts, je serai ravi d'en prendre connaissance.

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    2. voilà les termes dans un contrat.

      "Si l'Ouvrage donne lieu à un marché spécial, telle une vente directe par l'Editeur ou conclu à un taux de remise supérieur à 60 % (soixante pour cent) sur le prix public, la redevance définie en 3-1 sera calculée sur le prix de cession, hors taxes, fixé dans ce marché."

      le contrat prévot normalement ce cas de figure mais aussi celui de france loisir, ce genre de trucs.

      l'éditeur dispose de tous les droits d'adaptation, de solde, de réédition. d'où l'importance de le choisir correctement. mais pour ça, toi et moi on est bien d'accord...

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