mercredi 9 avril 2014

Faites suivre à tous vos contacts !

Ne vous méprenez pas : ce n'est pas ce que je vous invite à faire ! Bien sûr, si vous en éprouvez l'envie, je ne serai pas en mesure de vous en empêcher ; mais ce sera votre décision indépendante de toute demande de ma part.

Ce préambule mis de côté, j'en viens au véritable sujet de cette bafouille : les messages qui nous arrivent dans notre boîte courriel et qui nous invitent, après avoir pris connaissance d'une argumentation plus ou moins bien torchée, à la faire suivre à tous nos contacts. Genre : « il faut que ça se sache ».

Les objets sont variés, du simple texte à la petite vidéo en passant par le diaporama, et les sujets le sont tout autant. Drôles, inattendus, sérieux, inquiétants, horrifiques...

Je me suis déjà demandé si ceux qui lançaient ces messages en avaient réellement un à faire passer, ou s'ils le faisaient rien que pour surcharger les serveurs qui alimentent nos boîtes à courriels. Comme me l'a un jour expliqué un informaticien, il y a des frustrés et des enquiquineurs partout dans le monde et leur entêtement à sévir n'a, semble-t-il, que des limites aussi floues que leurs motivations.

Vous avez certainement déjà reçu ce type de courrier électronique. À la maison, mais aussi au boulot, où il vous a été relayé par un de ces collègues toujours prompts à bondir sur la moindre occasion de vous rendre service en vous informant, par exemple, d'un grand danger qui vous menace, vous ou l'Humanité tout entière.

Le commun dénominateur de ces courriels est leur origine nébuleuse. Certes, nous savons plus ou moins bien qui nous les a transmis, puisque c'est souvent une personne dont l'adresse est reprise dans la liste de nos contacts, mais plus on tente de remonter vers la source du message, plus on s'y perd ; et ce d'autant plus que certains intermédiaires ont copié et collé le contenu de la missive plutôt que de la dispatcher sans autre forme de procès. La chaîne a perdu quelques maillons essentiels en cours de route !

Parfois, en recevant un tel envoi, je me dis : « encore ce truc-là ? »

Parce que c'est aussi une caractéristique courante dans le petit monde de ces « toutes-boîtes » : ils surgissent un jour, disparaissent, puis refont surface quelques mois voire quelques années plus tard, comme si l'un ou l'autre internaute en mal de passe-temps décidait de les réactiver.

D'une manière générale, je remarque que ces messages « à faire suivre à tous nos contacts » diffèrent souvent dans la forme, mais rarement sur le fond. Il est question d'une nouvelle enquête, de nouvelles statistiques, de nouveaux témoignages ou de nouvelles preuves de ceci ou de cela. Vous savez, ces argumentations apparemment sérieuses sorties par l'Université Machin, ces chiffres avancés par tel ou tel ministère, ce témoignage rapporté par l'un ou l'autre reporter... qui tous tendent à nous expliquer, arguments massue à l'appui, que notre Société est sur une pente savonneuse et qu'il est grand temps de sévir afin que cessent tous ces abus, toutes ces injustices qui pourrissent si bien notre petite vie quotidienne que nous y pensons... quand on nous rappelle d'y penser !

Je remarque donc que ces courriels à volonté de grande diffusion consistent, bien souvent, à désigner les responsables de tout ce qui ne va pas chez nous, tous ces boucs émissaires qui sont généralement d'origine étrangère, ne partagent pas nos convictions religieuses, n'ont pas les papiers d'identité que doivent posséder « les honnêtes gens », n'ont pas de domicile fixe, encombrent nos prisons alors qu'ils seraient mieux dans les leurs, etc.

Lorsque je reçois ce genre de poulet, ma réaction est de le mettre à la corbeille sans l'avoir fait suivre à qui que ce soit. Dans la plupart des cas, rien que sa lecture suffit généralement à me faire une opinion sur le sérieux des arguments avancés et sur l'objectivité de ceux qui les ont rédigés. Se tenir au courant de l'actualité et ne pas prendre pour argent comptant tout ce qu'on raconte dans les médias, ça peut aider à accueillir avec scepticisme les enquêtes et statistiques délirantes qui fleurissent ici et là.

Parfois, lorsque le message cite des noms, évoque ses sources, je vérifie de quoi il retourne. Je m'aperçois alors que la personne à qui le message attribue certains propos s'est déjà exprimée par ailleurs pour les démentir, soit parce qu'elle n'en est pas l'auteur, soit parce qu'ils ont été déformés ou enlevés de leur contexte. Je note que la prétendue étude a été faite par un bureau d'experts fantomatique, ou que les statistiques avancées comme concernant un pays ou un continent sont extrapolées d'un vague rapport publié quelques années auparavant dans un canard local et ne portant que sur un nébuleux échantillon d'un millier de personnes.

Dans un cas comme celui-là, il m'arrive de répondre gentiment à la personne – collègue ou proche – qui m'a fort obligeamment transmis l'alarmante missive que des affirmations comme celle-là méritent d'être vérifiées avant d'être diffusées.

C'est par ce biais – et également au hasard de conversations à l'apparence innocente – que je réalise que le racisme, l'intolérance, la haine de l'autre ou, plus simplement, le refus du droit à la différence sont partout autour de moi.

Oh ! bien sûr, ce collègue, cet ami, ce proche... ne sont pas méchants. Mieux : ils ne feraient pas de mal à une mouche. Pas directement. Pas d'initiative, en tout cas. Et ils utiliseront l'expression bien connue qui commence par « je ne suis pas raciste », se poursuit par un « mais » et s'achève avec une argumentation qui contredit l'entrée en matière.

Aucun de ceux-là n'ira directement s'en prendre aux « autres », à ceux qui gênent. Non. De cela, il n'en est pas question.

Se porteront-ils au secours d'un de ces « autres » lorsqu'il est en danger ou dans les ennuis ? Peut-être que oui. Applaudiront-ils à ses malheurs ou s'en réjouiront-ils ? Sans doute pas. Pas publiquement, en tout cas, mais peut-être qu'en pensée ce sera différent.

À l'heure où l'on nous répète que tous ceux qui, dans le secret de l'isoloir, font le choix de l'extrémisme et du populisme ne sont pas tous des racistes, je me penche sur l'Histoire et relis les récits de ses tragédies, ses guerres, ses génocides.

Près d'un million de morts au Rwanda, exécutés par des gens ordinaires, comment une telle horreur a-t-elle été possible ? Et plusieurs millions de civils innocents exterminés par d'autres, sortis de l'innocence par la magie de discours haineux, comment cela pourrait-il être envisagé ?

La folie collective trouve ses racines dans de petites phrases anodines qui, reprises par quelques meneurs, deviennent des discours enflammés auxquels le bon peuple, apparemment paisible, finit par applaudir avec de plus en plus d'enthousiasme avant de lever le poing et de commettre l'irréparable.

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